Le génie génétique ne réduit pas la consommation de pesticides. Au lieu de cela, il augmente la dépendance de l'agriculture à l'égard de quelques sociétés agricoles internationales. Photo : Clipdealer
Une décision sur la réglementation des nouvelles techniques de génie génétique doit être prise l'année prochaine. Le secteur agricole intensifie ses activités de lobbying et, sous prétexte de protection de l'environnement, promeut une réglementation moins stricte. Ceci est illustré par deux exemples actuels.
Le Conseil national doit se prononcer le 10 décembre 2019 sur une initiative parlementaire (19.430) visant à interdire l'utilisation des pesticides par le biais de la loi sur la protection des eaux. La Commission de l'environnement, de l'aménagement du territoire et de l'énergie a déjà examiné au préalable l'initiative présentée par le conseiller national soicialiste, Beat Jans, et a estimé que les mesures de protection existantes étaient suffisantes. Aujourd'hui, l'association de l'agro-industrie suisse Agrar, qui réunit des experts en protection des cultures de grandes entreprises agricoles telles que BASF, Bayer et Syngenta Suisse, demande dans une lettre adressée aux membres du Conseil national et du Conseil des Etats que l'initiative soit rejetée. Selon la lettre, l'initiative freinerait l'innovation et l'utilisation des plantes éditées génétiquement, qui sont présentées comme une alternative plus durable aux pesticides. Sous ce prétexte, des pressions sont exercées pour déréglementer les nouvelles techniques de génie génétique. Ceci est censé éviter que la recherche fondamentale ne souffre d'une réglementation stricte.
Toutefois, à notre avis, la classification des nouvelles techniques de génie génétique comme appartenant au génie génétique au sens de l'arrêt de la CJUE du 25 juillet 2018 ne porte pas atteinte au principe de l'innovation. La recherche fondamentale n'en est nullement affectée ou ralentie. Au lieu de cela, une réglementation selon la loi sur le génie génétique crée un cadre d'action clair pour les chercheurs et l'industrie tout en stimulant la recherche et l'innovation dans le respect des intérêts des consommateurs. En effet, ces-derniers demandent une évaluation approfondie des risques liés à ces nouvelles technologies afin de protéger l'homme et l'environnement. En outre, ils exigent un étiquetage clair, qui garantisse la liberté de choix des consommateurs. Afin de pouvoir étiqueter, il faut pouvoir tracer. Un étiquetage et un traçage efficace ne pourra être mis en place que si ces nouvelles techniques sont assujetties à la Loi sur le génie génétique
Il convient de souligner que l'argument selon lequel le génie génétique réduit la consommation de pesticides n'a pas été prouvé. Bien au contraire, après 30 ans d'utilisation des plantes génétiquement modifiées (PGM) en agriculture, une augmentation massive de l'utilisation des pesticides a été constatée et documentée. Ceci est dû aux systèmes de cultures industrielles pour lesquels les les PGM sont conçues. En revanche, les approches agroécologiques, soutenues par le groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) et l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), se sont avérées plus efficaces pour réduire les émissions de gaz à effet de serre et la consommation de pesticides. Ceci sans créer de dépendance des agriculteurs vis-à-vis des grandes entreprises.
Ce point de vue est également partagé par le Conseil fédéral qui, sur la base du principe de précaution, a rejeté le 27.11.2019 la proposition de la faction libérale du PLR de déréglementer l'édition génomique (19.4050 : "Autoriser l’édition génomique, technologie qui profite à la protection de l’environnement ").
Pourquoi respecter le principe de précaution ?
La proposition d'exempter les plantes éditées génétiquement du cadre réglementaire prévu par la Loi sur le génie génétique aurait dû également ouvrir la voie à l'utilisation de l'édition génomique, présentée comme une alternative à l'utilisation de pesticides dangereux pour l'environnement dans la production alimentaire. Mais la réponse négative du Conseil fédéral est conforme au principe de précaution - la ligne directrice de la politique environnementale.
La prudence est justifiée : les nouvelles techniques de génie génétique n'ont pas "d'antécédents d'utilisation sûre". Les conséquences de la dissémination d'organismes édités génétiquement dans l'environnement ne sont visibles qu'après une période de temps longue et aucun retour en arrière n'est possible. Compte tenu des dangers possibles de ces techniques, même les inventrices des ciseaux moléculaires CRISPR/Cas préconisent une réglementation stricte. Mais précaution ne signifie pas interdiction : la recherche fondamentale peut se poursuivre sans entrave. Toutefois, avant toute commercialisation planifiée, les produits de cette technologie doivent faire l'objet d'un examen des risques approfondi et transparent afin de garantir la meilleure protection possible de l'environnement et des consommateurs.
Comme le montre la lettre d'Agrar, l'industrie n'est toujours pas intéressée par une évaluation approfondie des risques. Leur objectif est de pouvoir commercialiser leurs produits le plus rapidement possible ou, comme ils le disent, "de rendre les nouvelles méthodes rapidement et facilement accessibles aux agriculteurs".
Le génie génétique n'est pas une alternative durable aux pesticides
Jusqu'à présent, le génie génétique n'a pas produit de nouvelles variétés qui se passeraient de moins de chimie. C'est plutôt le contraire qui est vrai. Les PGM sont calibrées pour une agriculture intensive en grandes monocultures. En raison du manque de diversité génétique et de diversité structurale de ces agrosystèmes industriels, les plantes sont sensibles aux ravageurs et aux maladies et dépendent donc des pesticides. Comme le soulignent le Rapport mondial sur l'agriculture et l'Organisation des Nations Unies pour l'alimentation et l'agriculture (FAO), l'agriculture mondiale doit s'orienter vers l'agroécologie au lieu de l'agriculture industrielle et intensive soutenue par génie génétique. Les pratiques agricoles systémiques ont fait leurs preuves et permettent d'augmenter les rendements et la fertilité des sols de manière écologique et durable sans utiliser des pesticides chimiques de synthèse ou des PGM. Au lieu d'investir dans des technologies coûteuses dont les bienfaits sont débattus, il convient de soutenir la recherche et l'innovation dans le domaine de l'agroécologie et de l'agriculture biologique.
Du point de vue de l'industrie agricole, un tel changement de système n'est pas très avantageux car cette industrie ne veut pas (ou ne peux pas) changer son modèle d'affaires et souhaite commercialiser ses produits brevetés le plus rapidement possible. "L'agriculture a besoin de toutes les innovations et technologies disponibles qui permettent une production durable et respectueuse des ressources", a-t-elle écrit dans sa lettre au Parlement. "Seule l'innovation peut garantir la conservation des ressources naturelles, la minimisation des risques liés à l'utilisation des pesticides et la réduction de l'empreinte écologique de la production alimentaire. Les mesures préventives telles que la rotation des cultures, le travail du sol et la sélection variétale ne suffisent pas à elles seules à assurer une protection efficace", affirme le groupe industriel. Sur la base de ces affirmations, il demande que la recherche fondamentale soit accompagnée et soutenue par une réglementation "appropriée", c'est-à-dire moins contraignante, qui n'empêche pas la commercialisation rapide de nouveaux produits technologiques. Mais cette façon de penser n'est pas une solution aux défis auxquels sont confrontés les agriculteurs.
Même si les progrès techniques, tels que la détection précoce des ravageurs par des outils numériques, également mentionnée dans la lettre, peuvent certainement contribuer à réduire l'utilisation des pesticides, la technologie n'offre souvent que des solutions partielles dans la logique et le contexte de l'agriculture industrielle. À l'heure actuelle, il n'existe aucune information fiable pour appuyer l'allégation selon laquelle l'utilisation de pesticides chimiques peut être radicalement réduite par l'introduction de résistances par édition génomique. Le fait que les PGM créent de nouveaux dangers au lieu de nouvelles solutions est démontré par la culture de plantes génétiquement modifiés pour produire des toxines insecticides Bt. Les toxines insecticides des bactéries Bacillus thuringiensis (Bt), que ces PGM libèrent, aurait dû les protéger contre les insectes nuisibles et réduire la charge en pesticides. Mais c'est exactement le contraire qui s'est produit sur le long terme. Premièrement, ces plantes libèrent une toxine active de façon permanente dans l'environnement, réduisant les populations d'organismes bénéfiques aux cultures et chargeant les écosystèmes en toxines insecticides de manière inutile. Ensuite, l'efficacité de la toxine est limitée dans le temps. Si les ravageurs sont exposés en permanence aux toxines Bt, le développement de résistance est stimulé chez les ravageurs. Ceux-ci deviennent de plus en plus résistants et de plus en plus vite. L'utilisation de pesticides dans les cultures de PGM augmente alors rapidement. Pour ne donner qu'un exemple : les vers de la capsule du cotonnier, résistants au Bt, ont entraîné d'importantes pertes de récoltes en Inde, poussant de nombreux agriculteurs endettés par l'achat de semences chères à se suicider. Avec la propagation de parasites résistants, l'utilisation des sporulations bactériennes Bt utilisées en agriculture biologique ont aussi perdus leurs effets. L'agriculture biologique a ainsi perdu un outil.
Même l'introduction de résistances aux nuisibles par génie génétique n'offre pas de solution durable. Dans la plupart des cas, il s'agit de résistances qui ne sont déterminées que par un seul gène. Les nuisibles peuvent les contourner rapidement. Par conséquent, les généticiens doivent constamment introduire de nouveaux gènes de résistance dans les variétés. Les résistances plus complexes avec des effets plus permanents, qui résultent de l'interaction de plusieurs gènes, peuvent difficilement être imitées par la technique. En outre, le développement de systèmes de résistances à plusieurs gènes est moins lucratif pour l'industrie car il demande plus de ressources en temps et en argent. La sélection traditionnelle, en revanche, a été couronnée de succès dans ce domaine.
Au lieu d'éliminer les causes des problèmes agricoles actuels, le génie génétique ne traite que les symptômes tout en accentuant les déficiences des agroystèmes. Des produits et des organismes coûteux et brevetés augmentent la dépendance des agriculteurs à l'égard d'un petit nombre de grandes entreprises agricoles multinationales. Dans les systèmes de cultures industrielles, les plantes génétiquement modifiées résistantes perdent rapidement leur efficacité. Il s'agit donc de produits à obsolescence programmée dont la durée de vie planifiée est courte. Ce système profite évidemment à l'industrie, mais les agriculteurs et les consommateurs n'en bénéficient guère. Comme l'exigent divers rapports internationaux (dont l'IAASTD et l'IPES-Food), un changement radical de paradigme dans les pratiques agricoles s'impose donc de toute urgence.